Témoignage - Jean-François Soyez
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Les aventures d’un turfiste

Par Jean-François SOYEZ

J’ai toujours été attiré par les courses de chevaux. Tout petit déjà j’observai mon grand-père poinçonner ses tickets de jeu. Le tiercé, avant, c’était tout un art. Aujourd’hui, comme le dit le PMU® « On joue comme on veut ». Quand mon grand-père faisait son « papier » plus rien ne semblait l’atteindre ni le déranger. Pendant de très longs instants il analysait la course du tiercé dans la page d’un grand journal quotidien du nord de la france. Les jeux étaient « faits » lorsqu’il dégainait de je ne sais où la fameuse « pince à trouer » le ticket de jeu pour indiquer les trois chevaux devant obligatoirement se placer parmi les trois premiers de la course pour espérer toucher le moindre centime de francs… J’aimais ces instants presque magiques qui, je le savais, allaient me permettre de fréquenter ce lieu où « les grands » se retrouvent le dimanche autour d’un verre pour parler de l’évènement et parier sur les noms des chevaux qui feraient le bonheur des parieurs.

Mon grand-père donnait à l’un de ses fils, toujours le même, une mission des plus importantes : faire valider son ticket au PMU de la rue du Général Leclerc à Hem.

Ce bar-tabac-PMU, toujours comble et enfumé, où le rituel du grand-père prenait toute son importance : les jeux étaient faits et pas question de modifier le ticket à la dernière minute, même si une intuition ou un regret venait hanter cet homme malade qui ne quittait plus que rarement son fauteuil. A l’époque le téléphone portable n’existait pas. La seule passion restante, de cet homme, ancien déporté et malade depuis, était le tiercé. Je l’ai finalement peu connu. La mort est venue le chercher un matin de septembre 1978. La vie m’a séparé trop vite de ce grand-père adoré. Il est parti sans jamais avoir gagné que très peu d’argent avec sa passion, mais le simple fait d’étudier la course, de transpercer ce morceau de papier numéroté suffisait à le rendre, pour un moment, heureux et je n’en doute plus aujourd’hui d’écarter un peu ses souffrances. Le rituel du dimanche n’avait plus le même visage. Désormais c’était mon oncle qui prenait la relève. Toujours ce même bar-tabac-PMU, ce même journal, ces mêmes tickets...

Autour d’un verre de limonade mon oncle affinait son choix, validait ses pronostics et, enfin, attendait impatiemment l’heure de la course. Le tiercé était retransmis en direct sur les grandes ondes radio. La déception ou la fierté s’exprimait alors, immédiatement après la course, sur son visage. En cas de gain il expliquait pourquoi il savait qu’il allait gagner et en cas de perte il s’exclamait que cela n’était pas normal ou encore que le cheval avait été retenu comme si le jockey l’avait personnellement pris en grippe… Je restai longtemps l’observateur de ces instants où la chance se mêle à la science de l’observation.

Quelques années plus tard, tandis que mon oncle faisait ses jeux, je menai une activité secrète et parallèle : j’étudiai la course ! Tout y passait : Les dernières performances du cheval, le poids du jockey, le numéro à la corde, l’état du terrain et plein d’autres détails qui me demandaient tant d’attention. Trois ou quatre heures de réflexion. De calculs en déductions, mon pari prenait forme peu à peu. Selon le type de pari que je voulais engager je retenais entre huit et deux chevaux. Depuis que mon grand-père m’avait quitté le PMU avait créé de nouveaux paris permettant de jouer de trois à 5 chevaux sans oublier bien sûr les jeux « simple » ou « couplé » qui eux existaient déjà mais ne promettaient pas de gros gains. Au fil des ans je donnai mes tuyaux personnels à mon turfiste modèle. Ma devise étant avant tout de « me faire plaisir sans perdre d’argent ». Tout était calculé pour réduire les risques à leur minimum.

Pour gagner, il me fallait mettre en place un raisonnement qui, sur un temps donné, devait me permettre au pire d’être remboursé de toutes mes mises. Des mises presque toujours très raisonnables. Je n’ai jamais été flambeur à l’inverse de mon initiateur qui « pour se refaire » augmentait ses mises et donc ses risques de perte. Un système d’autant plus dangereux qu’il n’avait aucune stratégie mathématique pour minimiser les risques… J’ai pour moi la chance ( ?) de savoir contrôler mes émotions et de raisonner mes ardeurs. Je pouvais donc jouer plusieurs mois d’affilée et arrêter quelques années sans que cela n’ait un retentissement sur ma vie. D’aucuns diront que je ne suis pas un vrai joueur. Peu importante… Le but ici n’est pas d’exposer mes qualités de turfiste mais d’exposer une ou deux anecdotes plutôt croustillantes. Par nostalgie sans doute j’ai laissé mes doigts vous confier une partie de ma vie; une fenêtre ouverte sur quelques souvenirs…

La première anecdote que je veux vous dévoiler à lieu dans les années quatre-vingt-dix. Mon troisième enfant, un fils, n’a que quatre ou cinq ans… Il est presque midi et demi et tandis que mon épouse prépare le repas dominical, les enfants sont dans le jardin et profitent de cette belle journée de printemps. Je suis, quant à moi, affairé sur un grand journal hippique à l’étude du quinté du jour. Depuis quelques heures j’analyse, retiens et rejette quelques chevaux de ma sélection. J’ai déjà dans la tête le type de pari à engager. Cela sera un 2/4 (deux sur quatre). Ce type de pari vous permet de gagner si vous trouvez deux des quatre premiers chevaux faisant l’arrivée de la course. L’avantage par rapport au Quinté ? Cela permet des gains plus réguliers mais forcément moins importants qu’un Quinté trouvé dans l’ordre exact d’arrivée. Le montant des gains dépend des côtes des chevaux, de leur position et de bien d’autres paramètres encore. Pour faire simple et pour ceux qui ne connaissent pas les règles disons que plus la côte d’un cheval est haute et moins sa chance « théorique » de gagner la course est importante. Une course compte en général entre dix-huit et vingt chevaux. Des primes sont données aux propriétaires des chevaux gagnants. Le tiercé est une vraie compétition à l’inverse du Loto® ou tout dépend du seul hasard quoi qu’en disent certains vendeurs de méthodes et de grigris.

L’étude et le suivi des courses permettent donc de repérer les chevaux qui feront les grandes courses. Ce dimanche-là courait un cheval qui m’avait laissé une très bonne impression lors d’une de ses dernières courses dans un lot moins relevé. Je le retenais très vite comme « le cheval »  de la course. Disons, par commodité, que ce cheval portait le numéro 5. Après avoir épluché tous les éléments, je me retrouvai coincé. Ma sélection finale comptait, en effet, trois chevaux alors que pour réduire les mises et augmenter mes chances de gagner plus je tenais à n’en jouer que deux. Qui des numéros 6 ou 9 allais-je abandonner ? C’était le dilemme. Aucun critère ne me permettait d’écarter l’un en faveur de l’autre. Il était déjà presque treize heures et le PMU allait fermer. J’étais énervé d’avoir su réduire à trois le nombre de gagnants possibles, mais c’était encore trop.

Je disposai d’une mise me permettant de jouer 26 fois la sélection choisie. J’étais à deux doigts d’arrêter, de refermer le journal quand mon épouse appela les enfants pour qu’ils aillent se laver les mains avant de passer à table. C’est à ce moment-là que les jeux se sont faits. Les enfants rentraient dans la maison. En passant près de moi le plus petit me jeta un « Joue le 6 papa ! ». J’étais paralysé par l’incompréhension. Comment ce gamin de quatre ou cinq ans pouvait me dicter ce que je devais faire ! Mon fils passa son chemin comme si de rien n’était. Je pris, moi, ce signe comme un clin d’œil bienvenu du destin. Mon 2/4 s’établissait enfin : 5-6. J’ai joué 26 fois cette combinaison. Les quelques heures qui me séparaient de l’instant de vérité me semblaient longs et toutes sortes de pensées me traversaient l’esprit et je me demandai si je n’étais pas le dernier des idiots pour avoir cru en ce signe.

A seize heures les chevaux s’élançaient pour une course de quelques centaines de mètres. J’avais le cœur serré ; ma mise de 520 francs (plus de 79€) aurait pu servir à des choses bien plus utiles et je me sentais gêné d’avoir joué... Je regardai la course sans y faire attention. Je me faisais déjà à l’idée d’avoir perdu tant de temps et d’argent dans la même journée. Quelques secondes encore et les chevaux franchissent la ligne d’arrivée. Les résultats sont indiscutables. Les chevaux numéro 5 et 6 sont respectivement premier et deuxième de la course. Le numéro 9 est quant à lui cinquième. J’avais gagné ! Une situation ahurissante. Fabuleuse.

Comment mon fils avait-il pu sentir qu’il fallait faire confiance à un cheval en particulier? Je n’en sais rien… Sur ce coup osé, le bénéfice net (mise déduite) pour la petite famille s’est élevé à un peu plus de 4000 francs (près de 610 €).

Puisque j’en suis à me confier je vais vous livrer une autre anecdote encore en rapport avec les courses de chevaux.

Fidèle à mon habitude, j’étais attablé dans le salon à réfléchir au couplé que j’allais jouer si je me mettais d’accord avec moi-même… Depuis quelques heures, en effet, j’épluchai point par point les composants de la course. Ce jour-là, comme c’était souvent le cas, j’avais une grande hésitation. J’avais déniché un cheval à « belle côte » ; un tocard comme on dit. Mais comme, par définition, il faut deux chevaux - au moins – pour jouer au couplé et j’étais embarrassé car aucun autre ne sortait du lot. J’envisageai donc de porter mon choix sur l’un des favoris de la presse ; l’un des chevaux qui, selon les professionnels, avaient le plus de chances de gagner. Parmi les préférés des journalistes figurait le 2. Mon tocard quant à lui portait le numéro 5. Je m’apprêtai donc à jouer le 5 et le 2 en couplé placé par la modique somme de 10 francs (environ 1,50€). Habituellement je prépare mon papier et remplis mon ticket avant de me rendre au PMU du coin. Hélas, ou plutôt heureusement, je ne disposai plus de ticket « couplé ». J’allai donc au PMU et, avant de compléter mon billet, je jetai un œil à la liste des partants pour m’assurer qu’ils soient tous au départ.

Mon regard glisse lentement de ligne en ligne en regardant – presque sans voir – le nom de chaque participant. Je suis rassuré en constatant que mes chevaux seront bien au départ. Je continue malgré tout à « lire » la liste officielle des partants. Mes yeux sont maintenant sur la ligne du numéro 9. C’est ici que parmi les différentes expériences surprenantes que j’ai vécues la plus agréable s’est produite. J’ai dans une main mon stylo et dans l’autre le ticket de jeu sur lequel j’ai déjà coché le 5, mon tocard. Je suis seul dans le commerce, le patron, lui, est au tiroir-caisse.

Mes yeux sur ce numéro 9 s’apprêtent à continuer la descente… Tout à coup j’entends que l’on me chuchote à l’oreille : « Joue-moi ! Joue-moi… Joues-moi… » D’un œil discret et surpris je regarde à droite, à gauche. Personne ! Je suis toujours seul. Mon regard repart vers cette fameuse liste et, les yeux devant ce numéro 9 j’entends, toujours sur un son doux et agréable « Joue-moi ! Joue-moi… Joue-moi… ». Je prends le stylo coche le 9 sur mon ticket et donne ce dernier au patron. J’ai changé mon pronostic à la demande d’un cheval ! Je deviens fou. Je me tais. Il ne faut surtout rien dire. En rentrant à la maison j’annonce à mon épouse avoir joué le 5 et le 9. Elle me répond du tac au tac « Ton cheval n’a pas fini de courir ! C’est un tocard. C’est malin ! » Je lui révèle donc la raison de ce changement de pronostic : « C’es le cheval, lui-même, qui m’a demandé de le jouer». Mon épouse me regarde en coin avec un air désolé…

Un peu plus tard, résultat des courses : Les 9 et 5 sont respectivement aux première et deuxième places. Le 2, lui courre toujours à l’heure où j’écris ce souvenir.

Cette voix venue de je ne sais où m’a permis d’empocher plus de 700 francs (plus de 105€), mise déduite…

Wattrelos le vendredi 24 mars 2006

Jean-François SOYEZ

 

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