Témoignage - Sylvie et Bruno
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Curieux portrait.

Novembre 2002, un ami m'appelle et sollicite mon aide. Son épouse, qui l'a quitté depuis plusieurs semaines, s'est décidée à revenir. Elle est loin, très loin de notre Nord natal où les températures sont déjà bien fraîches en cette saison.

Sylvie, qui a quitté Bruno sur un coup de tête, a trouvé refuge chez des amis, anciens habitants de Roubaix. Des amis partis à plus de milles kilomètres de leurs repères. Sylvie est à Nice ! Elle qui, hier encore, ne voulait plus remettre les pieds chez elle a visiblement cédé aux demandes répétées de son mari. Bruno, en effet, n'accepte pas le départ de son épouse, de celle qu'il aime aveuglément depuis plus de vingt ans.

De leur union quatre enfants sont nés et depuis peu Sylvie et Bruno sont deux jeunes grands parents; ils ont la quarantaine. Les années passées auraient-elles lassé le couple ? L'habitude, le train-train quotidien seraient-ils à l'origine de la décision de Sylvie ; changer de vie ! Partir là où il fait beau, là où le soleil effacera la grisaille du souvenir de Roubaix ? Après tout les enfants sont grands et Sylvie les a parfaitement bien élevés. Elle a envie de penser à elle maintenant. Ce n'est que justice après tout. Elle s'est toujours donnée à fond pour son mari, pour ses enfants aussi...

Sylvie ne travaille plus depuis plusieurs années. Après quinze ans de service en qualité d'aide soignante, dans un hôpital de la région, elle a été mise en invalidité à cause du rhumatisme qui la fait souffrir.

Bruno, quant à lui, est agent hospitalier dans ce même hôpital. C'est d'ailleurs là qu'ils se sont connus; pour le meilleur et pour le pire. Vingt ans d'une vie de famille normale , d'un bonheur entrecoupé de coups durs. Des coups durs et des moments difficiles qui se font plus fréquents à mesure que le temps passe. Sans s'en rendre compte Sylvie et Bruno courent vers la fin d'une histoire; la fin de leur histoire.

Bruno en a assez de son boulot; il est usé et la retraite est encore loin devant lui. Dans le même temps les problèmes financiers qui le touchent, lui et sa famille, le rendent de plus en plus nerveux. Mais Bruno ne dit rien. Il subit. Le silence de plus en plus fréquent, les colères aussi, rendent l'air du cocon familial de plus en plus lourd; presque irrespirable. Sylvie continue de mener sa vie de mère du mieux qu'elle le peut. C'est une femme courageuse et toujours prête à rendre service. Ce petit bout de femme, si frêle, souffre en silence. Sylvie est une femme usée. Usée par les douleurs permanentes qu'elle supporte sans mot dire. Usée de subir les sautes d'humeur des uns et des autres. Sylvie, malgré la présence de son mari, de ses enfants et de ses genres, se sent seule; vraiment seule. Bruno, préoccupé par son travail et sa vie matérielle ne voit rien ; ne sent rien venir. Lui aussi, d'ailleurs, est fatigué. Bruno se confie à moi très régulièrement et je sais, je sens qu'il est sur la descente. Plusieurs fois j'aborderais avec lui la nécessité de se ressourcer, de refaire le point, de relativiser les problèmes, de se retrouver en famille; seule chose qu'il soit primordiale de sauvegarder. Bruno m'écoute, il semble acquiescer et pourtant je le sens ailleurs.

Depuis quelques semaines, voire quelques mois, m'avoue t-il, son couple bat de l'ail. Les disputes quasiment inexistantes pendant vingt ans se font maintenant de plus en plus fréquentes, de plus en plus intenses aussi. Finalement chacun se terre dans son mutisme. C'est la descente aux enfers. Bientôt Sylvie rencontre un homme qu'elle connaît mais n'a pas revu depuis des années. Cet homme c'est son ex mari. Sylvie et lui vont se revoir en 'bons amis' de temps à autres l'après-midi.

Cet homme la sentant au bord de l'implosion lui proposera de changer d'air; de changer de cap. Bref de changer de vie. Et c'est ainsi qu'une nuit de septembre 2002, après une ultime dispute avec son mari, Sylvie se décide à saisir la proposition de son ex-mari : le suivre à Nice, chez des amis; des Roubaisiens exilés sur la côte d'azure.

Sylvie pense t-elle à ses enfants ? Ses petits-enfants ? Tout le monde en doute. Bruno, trahi, a du mal à contenir sa peine, sa colère aussi. Son cour saigne. Pendant que Bruno sillonne Roubaix à la recherche de sa douce, Sylvie elle, a embarqué dans la voiture d'un homme qu'elle ne reconnaît plus. Cet homme qui lui en fit voir de toutes les couleurs fut par le passé semble maintenant calme et bon. Sylvie sait qu'il s'est remarié depuis leur séparation mais cela ne semble pas la perturber. Elle est perdue. Elle n'a rien d'autres avec elle que ses vêtements du jour et son paquet de cigarettes. Elle inspire à une vie meilleure et, sans doute, à un peu de repos. Soyons juste; Sylvie a oublié la signification du mot « repos ». A qui la faute ?

Bruno comprendra vite que son épouse est partie avec celui qui, autrefois, la battait sans hésitation quand quelque chose ne lui plaisait pas. Bruno attristé et apeuré décide donc de retrouver la femme de sa vie. Coûte que coûte. Ses recherches l'amènent à vouloir identifier la femme du compagnon de route de Sylvie. Ses recherches ne sont pas vaines. En effet, vingt quatre ou quarante huit heures auront suffit à Bruno pour localiser son épouse, sa douce.

Elle est bien à Nice ; non loin de la promenade des anglais. Pendant trois jours Bruno va téléphoner à Sylvie pour tenter de la décider de rentrer. Rien n'y fait. Même pas le souvenir de ses petits enfants. Sylvie a bel et bien décidé de changer de vie. Bruno ne perd pas espoir. Tant qu'elle accepte de lui parler au téléphone il garde confiance. L'insistance de Bruno finira par payer car, sans doute à cause du confort manquant, Sylvie accepte de rentrer pour ses enfants dit-elle.

Bruno m'appelle pour me demander de l'accompagner. Comment refuser à un ami en souffrance ? Au fond de moi quelque chose me dit qu'il n'a pas fini de souffrir. L'avenir, hélas, me donnera raison. J'en viens bientôt à l'objet de mon témoignage. La route pour Nice fut sans encombre. Bruno et moi avons roulé de nuit alternativement. Le plus dur fut ensuite de localiser le lieux précis où Sylvie avait trouvé refuge : Un appartement classique dans un vieil immeuble. Sylvie est là. Son visage n'est pas celui qui j'imaginais. Sylvie n'a pas la tête d'une personne heureuse de retrouver son époux. Lui ne voit rien; il est heureux. Je les laisse se retrouver dans une pièce à côté. Ils ont des choses à se dire. Sans doute des promesses à se rappeler. Je reste seul dans le salon de cet appartement modeste et charmant. Le soleil envahit la pièce. Les températures sont douces; il fait beau. Un léger vent pénètre dans la pièce par la fenêtre entrebâillée.

Mon regard se balade dans la pièce puis se pose sur une photographie. Un portait d'homme de trente-cinq ou quarante ans. Le cadre est fixé au mur en compagnie de trois ou quatre autres effigies et pourtant je ne vois que celui-là. dans le même temps toutes mes idées, toutes mes pensées s'effacent. J'ai la tête vidée. Ce portrait semble me parler. Une sensation étrange m'envahit, une sensation ineffable. Je reste debout, comme figé. J'ai l'impression de ne faire qu'un avec cet homme qui m'est pourtant inconnu. L'instant se prolonge et des émotions montent en moi.

Une grande tristesse m'envahit. J'ai une impression bizarre. Des informations me parviennent et sont immédiatement intégrées comme si elles avaient toujours été présentes en moi. Étrange phénomène. Des douleurs dans le ventre ! Voilà ce qui m'arrive comme information. Plus précisément encore : Les intestins ! A présent les larmes me coulent sur les joues. L'état de tristesse dans lequel je me trouve plongé est déplorable. Tel un gamin je sanglote. Je suis dans un autre état. Un état affligeant ! L'événement a duré quelques minutes. Au retour de Sylvie et Bruno je ne pu donner aucune explication au phénomène. Les seuls mots qui sortirent furent «  Il faut partir. Partons ! Il faut que je parte !  » Je pressais donc ainsi le couple réconcilié de plier bagages et mon regard restait collé au portrait de cet inconnu aux moustaches fines.

Que s'est-il donc passé ? Je l'ignore. Bruno prend le volant pour la première partie de route qui nous ramène vers Roubaix. Je m'enferme dans un silence profond. J'ai besoin de reprendre des forces, besoin de m'isoler tant l'événement fut fort. Sur les douze heures de voyage je ne prononcerai que quelques mots en réponses aux questions de Sylvie ou Bruno. Durant tout le déplacement mes pensées iront à cet homme de qui je ne sais rien et dont une seule certitude se présente à moi : La mort, pour cet homme viendra du ventre. Une maladie des intestins en sera à l'origine.

De retour à la maison la vie reprend presque comme si de rien n'était, presque. Bruno qui m'appellera un peu plus tard pour me demander ce qui avait bien pu se passer à Nice dans ce salon aux parfums de Provence. Bruno s'inquiétait car en l'espace de vingt ans il ne m'avait jamais connu dans pareil état. Je déclarais donc à Bruno que je savais que cet homme (que je venais de lui décrire) allait mourir des conséquences d'une maladie touchant les intestins. Bruno, surpris mais pas étonné, m'affirma ne pas connaître ce monsieur. Le lendemain de notre conversation Bruno me rappela pour m'apporter des précisions qu'il avait pu obtenir auprès de son épouse. Sylvie connaissait cet homme. Connaissait car cet homme est décédé. d'un cancer des intestins.

Wattrelos le mardi 30 mars 2004,

Jean François SOYEZ

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